• La forêt : Une matrice.

    Le texte qui suit est en grande partie tiré de "la science nouvelle", un texte de Giambattista Vico, un philosophe italien du 18ém siécle.

     

     

     

    Disséminés dans les forets primitives qui s'étendirent sur la Terre après le déluge, les descendants de Noé perdirent progressivement leur humanité, de génération en génération, et devinrent des créatures solitaires et infâmes, vivant sous un toit de branchage. Brutes et « géants ». très tôt abandonnés par leurs mères, ils grandirent sans famille et sans conscience, se nourrissant de fruits et cherchant l'eau. Brutaux, inquiets, incestueux, ils ne connaissaient pas de loi supérieure a celle de leur propres instincts ou désirs. Ils copulaient ouvertement, brutalement et sans honte, sans retenir en aucune manière les mouvements de leur corps, et la foret résonnait sans cesse de leurs grognements. 

      Errant dans les forets devenues extrêmement denses, les géants ne pouvaient imaginer l'existence d'un ciel derrière les frondaisons qui les protégeaient.

     Un jour, le tonnerre éclata dans le ciel qui se zébra d'éclairs pour la première fois depuis le déluge. C'est alors que quelques uns d'entre ces géants, épouvantés et stupéfaits devant ce phénomène dont ils ignoraient la cause, levèrent les yeux et aperçurent le ciel. Ils y virent un grand organisme animé et l'appelèrent pour cette raison Jupiter. Ce fut le premier des dieux et ces hommes s'imaginèrent que par l'éclat de la foudre et du tonnerre il s'adressait a eux.

     Ce premier éclair a du surprendre certains des géants en pleine copulation. Ils interprétèrent ce signe comme l'ordre d'éterniser l'union sexuelle et de devenir monogame. Ainsi est née l'institution du mariage qui ne pouvait s'instituer dans les forets qui favorisaient la dispersion, l'indépendance, le chaos, la polygamie, et même l'inceste.

     En somme pour que la famille puisse s'établir comme institution divine à ciel ouvert, elle devait déboiser son espace au cœur des forets et créer une clairière. Ensuite la famille marqua son territoire en inhumant ses morts. Elle s'enracinait dans le sol, ou humus, sous lequel vivaient les pères ancestraux. L'humanité est liée a ces rites. L'humus fonde l'humain.

     La clairière était pour les anciens comme un œil. C'est Vulcain, le maitre du savoir faire technique, qui ouvre l'œil. Il met le feu a la foret pour apercevoir l'éclair et en lire les auspices. Vulcain crée la foudre pour Jupiter, forge les armes guerrières des géants et envoie le missile dans l'espace en maitrisant les pouvoirs du feu sacré.

     Les choses se sont succédé dans l'ordre suivant : d'abord les forets, puis les cabanes, les villages, les cités et enfin les académies savantes.

     La nature des peuples d'abord cruelle, devient ensuite sévère, elle gagne par la suite en bienveillance, devient délicate avant de se perdre dans le libertinage. Une fois que l'esprit développe pleinement ses facultés d'abstraction, la raison critique devient ironique. En réfléchissant aux coutumes du passé, l'ironie découvre qu'ils étaient fondés sur des erreurs et des croyances. Ainsi une conscience qui atteint le stade de l'ironie tend a récuser l'autorité de la tradition. La distance avec le passé se creuse. Et l'ironie se change en cynisme débridé. Ce sont là les conditions de la naissance d'une nouvelle barbarie au cœur de la cité éclairée des hommes.

    Ravalés au rang des bêtes, ces hommes se sont accoutumés a ne penser qu'a leurs intérêts particuliers. Dans leur vie de raffinement ou, pour mieux dire, d'orgueil, un rien les emporte et les met dans une fureur folle. La multitude qu'ils composent n'est plus en réalité qu'une masse de corps et dans l'extrême solitude de leur âme, ils vivent livrés a leur propre désir, chacun ne songeant qu'a satisfaire ses caprices, incapable par la du moindre accord avec son voisin. Telles sont les raisons qui jointes aux factions et aux guerres civiles, transforment les cités en foret servant de repaire a ces hommes. De longs siècles de barbarie suivent, recouvrant de leur rouille des esprits devenus pervers a force de subtilité et de malice et que la barbarie née de la réflexion avait rendus plus cruels encore que l'antique barbarie, œuvre de sens.

     Tandis que la cité se désintègre de l'intérieur, la foret l'envahie de l'extérieur.

     Le travail de l'histoire s'écroule sur le sol. L'humus des ancêtres.

     Quand les commandements souterrains des morts cessent de convaincre les générations ironiques, les forets recouvrent progressivement les clairière et ferment les paupières des derniers hommes.

     


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